"Dans l'ombre" de Edouard Philippe et Gilles Boyer

Critique de "Dans l'ombre" de Edouard Philippe et Gilles Boyer
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J'ai fait dédicacer ce livre par Edouard Philippe et Gilles Boyer lors du salon du livre à Paris en 2018. Edouard Philippe était Premier ministre depuis quelques mois. Depuis la lecture de "Des hommes qui lisent", j'ai une certaine sympathie pour celui-ci (je reconnais humblement que je connais beaucoup moins Gilles Boyer), qui semble être un amoureux des livres et j'avais donc envie de lire "Dans l'ombre" dont il évoque l'écriture dans "Des hommes qui lisent".

Je dois dire qu'au départ j'ai été un peu décontenancée par le narrateur. Il s'agit d'un homme de l'ombre, premier conseiller du "Patron" (on aime à penser qu'il s'agit d'Alain Juppé dont Edouard Philippe et Gilles Boyer ont été les conseillers) qui vient de gagner les primaires de son parti pour le représenter à l'élection présidentielle. Le narrateur est un apparatchik, complètement dévoué à son travail et au Patron, un cynique qui porte un regard très froid sur son milieu professionnel, la politique, qui ne fait pas trop dans la dentelle et est prêt à (presque) tout pour atteindre son objectif. Un requin de la politique en somme, et un homme à mille lieues de l'image que je m'étais faite de Edouard Philippe à la lecture "Des hommes qui lisent".

Mais peut-être ne fallait-il pas chercher des similitudes avec les auteurs. C'est toutefois difficile d'y parvenir car le roman est très précis sur la politique, sur les conseillers de l'ombre, sur les relations qui se nouent dans ce petit milieu, les rapports de force avec l'opposition et au sein même de son parti, les enjeux et les objectifs. Il est donc mal aisé d'en faire abstraction et de ne pas chercher des ressemblances avec la réalité. Il faut pourtant reconnaître aux auteurs que le roman est rédigé de telle manière qu'il pourrait se dérouler à n'importe quelle date.

Et puis il faut reconnaître également aux auteurs qu'ils réussissent à nous faire découvrir leur milieu, qui fait parfois froid dans le dos (même si on ne se faisait pas trop d'illusions sur le sujet…), à travers le roman policier. La résolution de l'intrigue (la primaire a-t-elle été truquée et par qui ?) pourrait presque être anecdotique tant les détails sur le milieu de la politique sont fournis. Et les personnages, même secondaires, sont très bien campés (la communicante, les barons, le conseiller de l'opposition, le jeune qui démarre dans la politique etc.). Il y a donc un vrai plaisir à lire ce roman policier si tant est que l'on soit intéressé par la politique !

Si vous avez raté le début : 

Le narrateur explique la différence entre un "apparatchik", ce qu'il est, et un politique (celui qui incarne la fonction, qui est élu) (pages 12 et 13) :

"Je connais les joies intenses que procure ce milieu. Les montées d'adrénaline, les rares amitiés fidèles, l'esprit de camaraderie qui se noue entre des gens qui veulent la même chose. Je connais le bonheur des discussions interminables où l'on refait le monde et le sentiment enivrant qui porte tous ceux qui croient décider d'un programme. Je mesure parfaitement l'intérêt que peut présenter la vie aux côtés des puissants, et plus encore lorsqu'on est celui qui leur permet de le devenir ou de le rester.


Je connais aussi les aspects moins réjouissants : les petites trahisons, les compromis baveux, les renoncements pathétiques. Je vis depuis trente ans dans un monde où les gens sont plus méchants et plus retors que la moyenne. (…)


Le Patron est un vrai politique. Un pur. Il a confiance en moi, parce que je n'ai saisi aucune occasion de le trahir. Et pourtant, Dieu sait si j'aurais pu. Certains disent qu'il a besoin de moi, moi qui connais tous ses secrets, moi qui tiens son système. C'est possible, mais je n'en ai jamais profité et je n'en profiterai jamais."

Références : "Dans l'ombre" de Edouard Philippe et Gilles Boyer aux Editions Jean-Claude Lattès

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